« Le corps n’oublie rien » de Bessel van der Kolk

Le corps n'oublie rien de Bessel van der Kolk

En tant que lectrice ayant moi-même traversé les épreuves du traumatisme et de la maladie, le livre de Bessel van der Kolk « Le corps n’oublie rien » a résonné très fort en moi. J’ai particulièrement apprécié que cet ouvrage s’adresse autant aux néophytes qu’aux lecteurs plus avertis. En effet, les explications scientifiques y sont accessibles, sans jargon excessif, et toujours reliées à des exemples concrets. Cela m’a permis de mettre des mots sur ce que je vivais.

Par exemple, comprendre le mécanisme de la dissociation m’a éclairée sur ces moments où je ne “sentais” plus mon corps, comme détachée de moi-même. Une réaction de protection face à la douleur psychique. De même, réaliser que mes symptômes physiques pouvaient être liés à mon trauma a été une révélation déterminante. C’est la raison d’être de cet article : vous partager ce qui a été, pour moi, un chemin crucial vers la guérison, tant intérieure que physique.

Quand le corps garde l’empreinte du traumatisme

Le corps n’oublie rien (titre original The Body Keeps the Score) est un ouvrage de référence du Dr Bessel van der Kolk, psychiatre américain d’origine néerlandaise et spécialiste mondial du syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Publié en 2014 (édition française 2019), ce livre est rapidement devenu un best-seller international, avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus. Son succès s’explique par son sujet universel : le traumatisme psychique. Bessel Van der Kolk y développe une idée centrale accessible à tous : un vécu traumatique laisse des traces indélébiles dans notre esprit et dans notre corps. Autrement dit, même longtemps après l’événement, le corps “se souvient” du traumatisme. Souvent à travers des tensions, des émotions et des symptômes physiques persistants.

Comme le résume la quatrième de couverture : « Le traumatisme fait partie de la vie. Et le corps en garde les traces et une mémoire qui imprègne nos émotions. ». L’auteur s’appuie sur quarante ans d’expérience clinique auprès de survivants de traumatismes : vétérans de guerre, enfants maltraités, victimes d’agressions ou d’accidents, etc. Autant d’années et de cas différents pour explorer les mécanismes profonds du syndrome de stress post-traumatique et proposer des voies de guérison. Ce livre unique en son genre mêle récits poignants de patients, avancées en neurosciences et réflexions humanistes. Il montre à la fois notre extraordinaire capacité à souffrir, mais aussi à guérir.

Nous sommes des millions à porter ces cicatrices

Dès les premières pages, Bessel van der Kolk souligne à quel point le traumatisme psychique est répandu dans la société. Par exemple, il rappelle qu’aux États-Unis environ « une personne sur cinq a subi des abus sexuels durant l’enfance, une sur quatre a grandi avec un parent alcoolique et un couple sur trois a connu des violences physiques ». Autrement dit, les personnes traumatisées ne sont pas des cas isolés – nous sommes, à l’échelle du monde, des millions dans ce cas.

Ces expériences traumatiques laissent une empreinte profonde sur la biologie et l’identité des individus. Et, elles peuvent mener à de lourdes conséquences : problèmes de santé physique, troubles psychologiques, difficultés scolaires ou professionnelles, conduites addictives, etc. Donc, comprendre ces effets et les surmonter constitue un enjeu de santé publique majeur. D’autant que le traumatisme n’épargne aucun milieu sociétal, ni aucun âge de la vie. Van der Kolk insiste : « le traumatisme n’est pas simplement un mauvais souvenir du passé, il s’inscrit dans le présent de notre corps ». Cette prise de conscience est le fil conducteur du livre.

Le traumatisme, le cerveau et la « mémoire du corps »

Pourquoi dit-on que “le corps n’oublie rien” ? Le Dr van der Kolk explique que le traumatisme psychique provoque des changements durables dans le fonctionnement du cerveau et du système nerveux. En situation de danger (réel ou perçu), notre cerveau déclenche une alarme interne. Cette dernière implique notamment l’amygdale, la région cérébrale qui joue le rôle de « détecteur de fumée » émotionnel. L’amygdale ordonne alors la libération d’hormones de stress et active le système nerveux autonome. Une manière de préparer tout le corps à fuir, combattre ou se figer face à la menace.

En parallèle, les zones rationnelles du cerveau (les lobes frontaux, qualifiés de “tour de contrôle”) tentent d’analyser la situation de manière posée. Dans un cerveau traumatisé (SSPT), ce mécanisme se dérègle. Ainsi, l’alarme reste hyperactive, tandis que la « tour de contrôle » peine à la moduler. Conséquence : la personne reste en état d’alerte permanent. Le moindre stimulus est interprété comme une menace, déclenchant une cascade réactionnelle disproportionnée. Le corps et les émotions demeurent coincés en mode “survie”. Comme si le danger initial continuait ici et maintenant. Bessel Van der Kolk résume ainsi : « Être traumatisé, c’est organiser sa vie comme si le traumatisme était toujours en cours – chaque nouvelle expérience étant contaminée par le passé ».

Le prix physique du traumatisme psychique

Un tel état d’alarme chronique a des répercussions multiples. Émotionnellement, il se traduit par une anxiété diffuse, de l’irritabilité, des flashbacks (intrusion de souvenirs traumatiques), ou au contraire un engourdissement affectif (indifférence, détachement). Physiquement, le stress permanent épuise l’organisme et peut engendrer divers troubles : tensions musculaires constantes, insomnies, migraines, troubles digestifs, etc. Le livre souligne d’ailleurs que le traumatisme peut provoquer de véritables symptômes physiques. « Lorsqu’on est en colère ou effrayé en permanence, les muscles tendus finissent par entraîner spasmes, maux de dos, migraines, fibromyalgie et autres douleurs chroniques », écrit van der Kolk.

En effet, être « sur le qui-vive » continuellement maintient un niveau de stress physiologique anormal, qui finit par « user » le corps. Des études montrent par exemple qu’une proportion significative de patients fibromyalgiques ont un historique de traumatismes ou d’abus dans l’enfance. Ces maladies autrefois « inexpliquées » pourraient souvent trouver leur origine dans des blessures psychiques non résolues. C’est un point crucial mis en avant tant par Bessel van der Kolk que par d’autres médecins comme le Dr Gabor Maté, auteur de Quand le corps dit non. Tous établissent un lien entre stress émotionnel prolongé et maladies somatiques. C’est à dire les douleurs chroniques, les maladies auto-immunes, etc.

Quand le corps et l’esprit cessent de dialoguer

Par ailleurs, le livre décrit comment les personnes traumatisées en viennent souvent à se couper de leurs ressentis pour survivre. Face aux souvenirs douloureux et aux signaux de détresse incessants envoyés par le corps, « ces personnes deviennent expertes dans l’art d’ignorer leurs sentiments instinctifs et de se désensibiliser à ce qui se passe à l’intérieur d’elles. Elles apprennent à se cacher d’elles-mêmes ». C’est une description parlante de la dissociation : un phénomène de détachement de son propre corps et de ses émotions, fréquent chez les traumatisés. Beaucoup finissent par ne plus sentir ni même habiter leur corps, comme anesthésiés de l’intérieur. Ce qui peut donner l’impression d’être « coupé en deux » (esprit d’un côté, corps de l’autre).

Une lectrice témoigne ainsi : « on pense que seul le psychique va mal, mais en fait c’est un ensemble : le corps se dissocie de l’esprit, il ne veut plus rien ressentir et se sépare du mental – un processus de protection très bien expliqué dans ce livre ». Bessel Van der Kolk démontre que ce découplage corps/esprit, protecteur à court terme, devient un obstacle à la guérison sur le long terme. Car il empêche de ressentir et donc de surmonter le traumatisme. En un sens, tant que l’on se coupe de son corps pour fuir la souffrance, le traumatisme reste emprisonné à l’intérieur. Mais, “le corps n’oublie pas” et continue de faire souffrir à sa manière (douleurs, malaise, flashbacks…).

Le défi de guérir : retrouver l’unité corps-esprit

Un autre apport essentiel du livre est de montrer que le traumatisme n’est pas qu’un événement révolu du passé. Il laisse « une empreinte sur l’esprit, le cerveau et le corps, avec des conséquences continues sur la façon dont l’organisme survit dans le présent ». En effet, Bessel van der Kolk explique que le traumatisme perturbe en profondeur la capacité à se sentir en sécurité. « Les personnes traumatisées se sentent, de manière chronique, en insécurité à l’intérieur de leur corps. Leur passé reste vivant sous forme d’un malaise intérieur qui les ronge ».

Et, tant que ce malaise persiste, il est difficile, voire impossible, d’avancer. Donc, la priorité devient d’aider les survivants de trauma à « réapprendre à vivre dans le présent en sécurité ». Cela implique un travail thérapeutique pour réassocier le corps et l’esprit. En d’autres termes, se redonner la capacité de ressentir ses émotions et leurs sensations sans être débordé par la peur. C’est le défi, mais aussi l’espoir que propose l’ouvrage : Oui, il est possible de guérir du traumatisme. Mais, à condition d’adopter une approche globale corps-esprit.

Un pont entre neurosciences et humanité

Le corps n’oublie rien est un livre riche et très complet. Ce qui peut le rendre parfois exigeant pour le lecteur novice. Et c’est la raison pour laquelle j’essaie ici de résumer et « vulgariser » son contenu à ma manière, en m’appuyant sur ma propre expérience de vie. Il est structuré en plusieurs parties qui mènent le lecteur du constat des effets du traumatisme vers les pistes de guérison. Bessel Van der Kolk commence par expliquer ce qu’est un traumatisme psychique et comment il affecte le cerveau. Il s’appuie sur les découvertes en neurosciences des dernières décennies pour en présenter des notions clés. Comme, le fonctionnement du cerveau émotionnel (système limbique), la chimie du stress, la formation des souvenirs traumatiques (souvent fragmentés ou non verbalisables), etc. Il retrace aussi l’histoire de la compréhension du trauma en psychiatrie. Par exemple comment le trouble de stress post-traumatique a été identifié chez les vétérans de la guerre du Vietnam dans les années 1970.

Cette partie scientifique est entrecoupée de nombreuses études de cas tirées de sa pratique clinique. C’est ce qui rend la lecture de cet ouvrage vivante. Ainsi, on y rencontre des soldats hantés par les horreurs de la guerre, des adultes revivant inconsciemment les abus subis enfants, ou encore des victimes d’accidents incapables de reprendre une vie normale. Ces récits, parfois bouleversants, illustrent concrètement les symptômes du SSPT : cauchemars, flashbacks, hypervigilance, colères incontrôlées, dissociation, etc.. Mais aussi la résilience dont font preuve les survivants. Ces histoires permettent de mieux comprendre de l’intérieur ce que vivent les personnes traumatisées. Pour les connaisseurs du sujet, elles apportent une dimension humaine aux données scientifiques.

Le regard de Bessel van der Kolk sur les blessures d’enfance et leurs cicatrices invisibles

Bessel Van der Kolk consacre également des chapitres à des thématiques spécifiques. Par exemple, sur l’attachement et les traumatismes d’enfance. Il explique comment les blessures psychologiques précoces (négligences, maltraitances durant l’enfance) affectent le développement du cerveau. Et, elles peuvent mener à des troubles complexes à l’âge adulte (dépression, troubles de la personnalité, maladies psychosomatiques…). Il souligne que les traumatismes relationnels (famille dysfonctionnelle, abandon, violences domestiques) ont souvent des effets aussi, sinon plus, dévastateurs que des événements traumatiques isolés comme un accident. Ces chapitres s’appuient sur la recherche en attachement et en psychologie du développement. Tout en restant accessibles grâce aux exemples.

Car, l’une des forces de ce livre est de faire le lien entre les connaissances scientifiques et la dimension humaine du trauma. Bessel Van der Kolk vulgarise sans jamais perdre de vue la souffrance des personnes. Il n’hésite pas à partager aussi ses propres expériences de thérapeute et de chercheur. Y compris ses remises en question. Par exemple, il raconte comment il a constaté les limites de la psychothérapie traditionnelle centrée sur la parole pour soigner certains patients traumatisés. C’est ce qui l’a poussé à explorer d’autres approches. Cette honnêteté intellectuelle et empathique rend la lecture à la fois instructive et touchante.

Le corps n'oublie rien, le livre de Bessel par Solweig Ely

Des voies de guérison : soigner le traumatisme en soignant le corps ET l’esprit

Malgré la gravité du sujet, Le corps n’oublie rien est un livre porteur d’espoir. En effet, après avoir dressé le tableau des effets du traumatisme, Bessel van der Kolk consacre une large part de l’ouvrage aux méthodes pour guérir et se reconstruire. Son message est clair : le traumatisme n’est pas une fatalité. Avec le bon accompagnement, les personnes traumatisées peuvent cesser de revivre le cauchemar du passé. Mais aussi, et surtout, retrouver une vie épanouie.

L’auteur démontre que le cerveau est plastique : grâce à la neuroplasticité, il peut se « re-câbler ». Et que l’on peut réapprendre à réguler son système nerveux. Mais pour cela, il faut souvent sortir des sentiers battus de la thérapie classique. Bessel Van der Kolk plaide pour une approche holistique qui intègre pleinement le corps dans le processus de guérison.

« Le traitement du traumatisme passe par le corps. Le but est d’aider la personne à se sentir de nouveau en sécurité dans son propre corps. »

Explorer de nouvelles voies thérapeutiques pour apaiser le trauma

Concrètement, le livre explore plusieurs thérapies novatrices, centrées sur les sensations corporelles et les émotions, qui se sont révélées efficaces pour traiter le SSPT. Parmi elles :

La méditation de pleine conscience (mindfulness) et le yoga :

Ces pratiques permettent au patient de se reconnecter progressivement à ses sensations corporelles dans un cadre sécurisant. En apprenant à observer sa respiration, ses tensions ou ses émotions sans panique, la personne réentraîne son système nerveux à se calmer. Bessel Van der Kolk cite des études montrant que la mindfulness apaise le système nerveux, diminue l’hyperréactivité et améliore même certains symptômes physiques liés au stress (douleurs chroniques, tension artérielle, immunité, etc.).

Il partage également son expérience d’introduire des cours de yoga pour ses patients traumatisés. Beaucoup y ont trouvé un moyen de « revenir dans leur corps » en douceur et de tolérer à nouveau des sensations (même inconfortables). Mais aussi, d’éprouver un sentiment de contrôle et de relaxation.

Les techniques de mouvements rythmiques et d’expression corporelle

« Le mouvement est l’antidote de la “stase” traumatique », explique Bessel van der Kolk. Des activités comme la danse, le chant, le théâtre peuvent jouer un rôle surprenant dans la guérison. Par exemple, le livre relate un programme où des adolescents délinquants ont participé à un atelier théâtre (mise en scène de pièces de Shakespeare) au lieu de la prison. Et, il montre comment jouer d’autres rôles les a aidés à sortir du leur, souvent figé par le traumatisme. Mais aussi, à retrouver estime d’eux-mêmes et confiance.

De même, chanter dans une chorale, pratiquer un sport d’équipe ou même des rituels en groupe peut restaurer un sentiment d’appartenance et de sécurité collective. Des ressentis précieux pour des personnes qui se sentaient isolées et en danger partout.

Les thérapies par le mouvement oculaire (EMDR) et le neurofeedback

Bessel Van der Kolk a été parmi les premiers cliniciens à étudier l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing). C’est une méthode où le patient, guidé par le thérapeute, effectue des mouvements oculaires tout en repensant à son traumatisme. Certes, cela peut sembler étrange. Mais des recherches sérieuses, y compris les siennes, ont montré que l’EMDR peut “décrocher” l’empreinte traumatique en aidant le cerveau à retraiter l’information émotionnelle. Le livre détaille des cas où quelques séances d’EMDR ont radicalement soulagé des vétérans en proie à des flashbacks incessants. Là où des années de thérapie classique n’avaient pas suffi.

Quant au neurofeedback, il s’agit d’une technique qui permet de visualiser en direct son activité cérébrale (via un EEG) et d’apprendre, par biofeedback, à la moduler. Bessel Van der Kolk a mené des études sur le neurofeedback appliqué aux traumatisés. Et, il rapporte des améliorations encourageantes de la régulation émotionnelle. Ces approches exploitent la neuroplasticité du cerveau : elles montrent qu’on peut littéralement reconfigurer les circuits neuronaux affectés par le trauma. Et ainsi en atténuer les symptômes.

Le rôle de la relation et du soutien social

Un autre message fort du livre est que « nos relations ont un pouvoir immense tant pour nous blesser que pour nous guérir ». Avoir été traumatisé implique souvent une profonde atteinte à la confiance envers autrui. Par exemple, si le trauma a été causé par un proche, ou si l’on s’est senti abandonné. De plus, beaucoup de survivants, comme cela a été mon cas, éprouvent le honte ou la culpabilité. C’est pourquoi, ils ont tendance à s’isoler. Or, la guérison passe souvent par la restauration de liens sains. Se sentir écouté, compris, entouré est un facteur thérapeutique majeur.

Bessel Van der Kolk évoque le soutien communautaire tel qu’on le voit dans certaines cultures non occidentales. Comme les  cérémonies collectives, les danses tribales ou les prières en groupe. Autant de rituels qui permettent aux individus de “se synchroniser” émotionnellement avec les autres. Et ainsi, de ne plus porter seul le fardeau du trauma.

Pour nos sociétés modernes, cela peut prendre la forme de groupes de parole, de thérapies de groupe, ou simplement d’une implication de la famille et des amis dans le processus de guérison. L’auteur souligne que rétablir des liens de confiance est au cœur du chemin de reconstruction : « Le plus important, c’est d’apprendre à se sentir en sécurité avec les autres – les connexions sûres sont le fondement d’une vie satisfaisante ».

« Le plus important, c’est d’apprendre à se sentir en sécurité avec les autres – les connexions sûres sont le fondement d’une vie satisfaisante »

De la médication à l’autonomie : un changement de paradigme

Enfin, Bessel van der Kolk ne manque pas de critiquer certaines approches trop réductrices du traitement du trauma. En particulier la tendance à gaver de médicaments les patients au lieu de les aider à affronter et intégrer leur expérience. Bien sûr, il reconnaît que les psychotropes (antidépresseurs, anxiolytiques, etc.) peuvent soulager temporairement les symptômes. Mais ils ne sauraient « guérir » le traumatisme sous-jacent. « Trop souvent, on prescrit des pilules pour engourdir la détresse, au lieu d’enseigner aux gens les compétences pour y faire face. Les médicaments ne font que masquer les sensations, ils ne les résolvent pas » insiste-t-il. Comme cela a été mon cas, ce constat fera écho chez de nombreux lecteurs, en particulier ceux qui ont erré de traitement en traitement sans aller mieux.

Donc, Bessel Van der Kolk appelle à un changement de paradigme. Plutôt que de considérer le patient traumatisé comme un malade passif à “stabiliser” chimiquement, il faut l’impliquer activement dans sa propre guérison. Et notamment, lui redonner du pouvoir sur son corps et son esprit. Cela rejoint une idée clé : « nous avons, en nous, la capacité de réguler notre propre physiologie – par des activités élémentaires comme respirer, bouger, toucher… ». En réapprenant ces ressources simples mais profondes, les survivants peuvent progressivement sortir de l’état de sidération imposé par le traumatisme. Et, redevenir acteurs de leur vie.

De la douleur à l’espérance : mon chemin aux côtés de Bessel van der Kolk

Pour partager un peu de mon histoire, que je développe un peu plus dans mon livre « Le silence et la honte », durant l’enfance, j’ai vécu un certain nombre de traumatismes et notamment des abus sexuels vers l’âge de 9 ans. À peine un an plus tard, j’ai commencé à développer un syndrome douloureux chronique diffus, sans cause médicale évidente. Pendant des années, j’ai été traitée par toutes sortes de médicaments pour soulager mes douleurs, ma fatigue, mes troubles du sommeil… sans grande amélioration. Les médecins attribuaient cela au stress, puis à un état dépressif, sans vraiment approfondir. Pourtant, j’en ai vu des psychiatres et des psychologues… Ce n’est que bien plus tard, que l’on a diagnostiqué chez moi une fibromyalgie. Mais, même après ce diagnostic, tout ce que le corps médical m’apportait, c’était des ordonnances de médicaments toujours plus nombreux et, au fil des années, toujours plus forts tant en dosages qu’en molécules.

C’est en cherchant par moi-même les clés pour me sortir de cette spirale infernale que j’ai découvert, entre autres, les ouvrages de Bessel van der Kolk et du Dr Gabor Maté (Quand le corps dit non). Et là, j’ai enfin pu faire le lien entre mon traumatisme d’enfant et mes maux physiques. Comme l’explique van der Kolk, mon corps « gardait le score » du trauma : les tensions et l’angoisse refoulées s’étaient manifestées sous forme de fibromyalgie. Cette prise de conscience a été le début d’un véritable tournant. En entreprenant un travail sur mes blessures intérieures (psychothérapie spécialisée dans le trauma, exercices de libération émotionnelle, yoga, etc.), j’ai vu mes symptômes physiques diminuer peu à peu… jusqu’à disparaître totalement.

Une lecture bouleversante mais libératrice

Aujourd’hui, je ne prends plus aucun traitement médicamenteux, moi qui avalais des antidouleurs quotidiennement. C’est presque incroyable, mais en soignant mon esprit, j’ai soigné mon corps. Mon cas n’est qu’un témoignage parmi d’autres. Mais il illustre parfaitement la thèse du livre : le corps et l’esprit sont indissociables. Et pour guérir l’un, il faut guérir l’autre.

Cependant, je dois avouer que la lecture de « Le corps n’oublie rien » n’a pas été facile émotionnellement. En effet, certains chapitres ont fait remonter des souvenirs pénibles. Bessel van der Kolk écrit avec tant de vérité que l’on ne peut qu’être remué quand on a soi-même des traumatismes enfouis. Cependant, cette lecture m’a surtout apporté un immense soulagement : enfin quelqu’un mettait des mots sur mon ressenti. Un grand médecin m’expliquait que non, je n’étais pas “folle” ou “faible”, que mes réactions étaient normales au vu de ce que j’avais traversé.

Ce livre m’a également redonné de l’espoir. Espoir que la guérison est possible, même après des années de souffrance. Espoir qu’on peut reprendre le contrôle de sa vie, petit à petit, en apprenant à se connaître et à se réparer. En refermant le livre, je me suis sentie moins seule et mieux armée pour poursuivre mon propre chemin de reconstruction.

Un livre indispensable pour comprendre et guérir du trauma

En conclusion, Le corps n’oublie rien de Bessel van der Kolk est un ouvrage incontournable pour qui s’intéresse de près ou de loin au traumatisme psychique et à ses conséquences. C’est à la fois une synthèse scientifique pointue (fruit de décennies de recherches) et un livre profondément humain, accessible au grand public. Le Dr van der Kolk y démontre avec brio que les traumatismes laissent une empreinte physique durable. Mais aussi, et surtout, qu’il est possible de s’en libérer en adoptant une approche holistique de la guérison. Ce livre invite à changer de regard sur les personnes traumatisées : au lieu de les blâmer pour des symptômes qu’elles ne contrôlent pas, il faut comprendre d’où viennent leurs souffrances. Et les accompagner avec bienveillance vers la guérison. Le corps n’oublie rien offre justement de nouveaux espoirs thérapeutiques en décrivant des méthodes novatrices pour aider les survivants à se réapproprier leur vie.

En refermant Le corps n’oublie rien, on en sort avec un regard transformé sur le trauma. On comprend mieux les liens intimes entre notre corps et nos émotions, entre nos maux d’aujourd’hui et nos blessures d’hier. Surtout, on retient que même si le corps n’oublie pas, il peut guérir. Avec du courage, de l’accompagnement et les bonnes méthodes, la tyrannie du passé peut prendre fin. C’est, en somme, un livre qui donne autant à réfléchir qu’à espérer. Un indispensable pour quiconque souhaite briser le silence du trauma afin de cheminer vers la résilience et la reconquête de soi.

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2 réflexions sur “« Le corps n’oublie rien » de Bessel van der Kolk”

  1. Ce livre est très intéressants aussi, notamment pour les solutions proposées. On m’a recommandé le neurofeedback (pour les insomnies). Après 1 séance, pas d’amélioration notoire côté sommeil, mais d’autres symptômes améliorés. Pour ces aspects-là, nous vivons une époque formidable!
    Merci pour ce long article.

  2. merci pour cet article très clair et qui aborde beaucoup de problèmes non diagnostiqués par la médecine générale qui ne fait pas de lien. Le corps a des mémoires cellulaires et des ancrages pas toujours bénéfiques. Merci pour avoir grâce à ce livre ouvert des portes

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